Las Vegas : Du Binion's au Rio, Leon Shattuck raconte ses WSOP
Leon Shattuck a parfois du mal à parler de poker. A l'occasion du WSOP 1,000$ Seniors Championship, Leon nous a confié qu'il jouait les World Series Of Poker depuis 1983 et était professionnel depuis 1983... il a même rencontré sa femme en marge des championnats du Monde. Et c'est pour cela que parler de son jeu favori est un peu difficile.
Aujourd'hui agé de 77 ans, le joueur du Tennessee a grandi à Chattanooga et joue au poker depuis des décennies. Il a joué au moins un tournoi des World Series jusqu'à 2006. Rounder de l'éternel, Leon jouait à Las Vegas toute l'année, il a du prendre sa retraite il y a 12 ans. Pas à cause de l'age, ni de la fatigue, ni même parce qu'il était ruiné ou en plein craquage.
Leon fond en larmes en nous racontant son histoire. Il prend quelques longues secondes pour retrouver ses esprits et ne pas continuer à pleurer. il nous explique enfin qu'il a mis fin à sa carrière pour aider et prendre soin de sa femme, Monika. Cette dernière souffre de la maladie d'Alzheimer, à 78 ans la maladie est désormais à un stage avancé.
Maladie progressive, irréversible, Alzheimer détruit progressivement la mémoire et la capacité à penser... puis la faculté de faire des choses simples, celles de la vie quotidienne. Une maladie qui affecte 7 millions d'Américains.
Pour les membres de la famille et les époux comme Leon, il est très douloureux de voir l'être aimé changer et souffrir. La personne que vous aimez est loin, partie. Pour Leon, la lutte a été longue, la souffrance démultipliée par celle qu'endure sa femme. En jouant aux World Series, Leon tentait de penser à autre chose, il n'avait pourtant pas oublié de glisser une photo de Monika dans sa poche.
Viva Las Vegas
Quand on regarde l'Amazon room, il est facile de voir que Leon n'a pas commencé le poker il y a 3 mois. Il porte d'ailleurs une veste en satin du Mint Casino... qui était situé à Downtown avant sa fermeture en 1988 ! Ouvert en 1957 cet établissement avait été popularisé en 1971 par l'auteur de "Las Vegas Parano", Hunter S. Thompson qui avait ainsi raconté ses aventures sur la "Mint 400", une course déjantée.
Plus t?t dans le festival, sur le 1,500$ Seven Stud, Leon avait choisi une veste du Stardust, un établissement fermé depuis 2006 ! En pleine discussion, il décide alors de nous sortir sa vieille carte d'identification des WSOP, celle datant du Binion's Horseshoe.
"Ils nous ont donné ?a en 1985. Il n'y a pas grand monde qui doit posséder cette carte, ceux qui l'avaient sont tous probablement morts", rigole Leon avant de montrer la vieille photo et la signature au dos de la carte. "l'organisation te donnait ?a pour prouver que tu étais un participant des tournois. Tu la montrais au sous-sol du Horseshoe et cela te donnais accès au buffet, tu pouvais même inviter un ami. Ils nous nourrissaient bien à l'époque", encha?ne le vétéran.
Dans sa bonne ville de Chattanooga, Leon était coiffeur-barbier. C'est en jouant plusieurs parties de poker autour de la ville qu'il a découvert qu'il se débrouillait bien. Mais c'est avec l'idée d'exercer son métier de barbier qu'il est venu dans le Nevada.
"Je suis venu avec mes outils mais quand j'ai vu les salles de poker j'ai réalisé que c'était mon univers. Je suis donc venu jouer les World Series en 1983. Je n'ai pas été loin de réaliser une place payée mais j'ai du revenir en 1984 pour jouer encore", indique Leon. La campagne suivante va bouleverser sa vie.
Leon va en effet de rester un peu plus longtemps que d'habitude. "J'ai appelé Republic Airlines pour demander de prolonger mon séjour à Las Vegas et ils ont dit okay. Deux semaines plus tard j'ai passé un autre coup de téléphone et ils m'ont appris que mon ticket de retour n'était plus valable. J'avais toutes les raisons de rester".
"En 1985 j'ai donc commencé à jouer au Stud poker au Stardust et j'ai gagné assez d'argent pour me loger, à l'époque il suffisait de gagner de 9 à 16$ pour avoir un toit sur la tête, ils te donnaient à manger. De mon c?té je jouais en Limit et je battais la partie 4 jours sur 5, surtout en Stud", continue Leon, désormais fixé à Las Vegas.
"Je n'ai jamais eu à travailler ici, à Las Vegas je n'ai été qu'un joueur de poker", se souvient-il.
Poker is Life
Monika et Leon se sont rencontrés en 1990 sur le Strip. Dans un autre établissement aujourd'hui disparu, l'Imperial Palace. D'origine allemande, Monika a remarqué Leon sur un check-raise... une conversation a débuté, des sourires ont été echangés et l'attraction mutuelle n'a jamais cessée. Trois années plus tard, c'est le mariage.
Ils divorceront après 7 années de vie commune. Si certains mariages ne durent pas, pour d'autres c'est le divorce qui ne dure pas. Un mois après leur séparation, Monika et Leon ont repris leur vie commune... pour 16 années avant qu'Alzheimer ne frappe.
Avec la dégradation de la santé de sa femme, Leon a du changer sa vie de joueur de poker. Le couple est rentré à Chattanooga en 2006, Leon devant désormais s'occuper quotidiennement de son épouse. Pendant 9 années, Leon a lutté pour soulager sa femme.
A un moment, il a fallu se rendre à l'évidence et Monika a du être admise dans une unité spécialisée en 2015. Si Leon ne pouvait pas remplacer les médecins et les infirmières, il a souffert de ne plus vivre au quotidien avec sa partenaire, ni de lui parler quand il en avait envie. Sa douleur de ne plus être reconnu par sa femme se lit sur son visage quand il nous confie son histoire.
Jamais remarié après son court divorce, Leon aime à penser que la séparation a été un court mirage. Une erreur qui n'aurait jamais du se produire. Leon a toujours considéré Monika comme sa femme, une femme qui aimait jouer aux cartes : "Et elle était une très bonne joueuse".
Retour aux WSOP
Cela fait trois années que Leon vient disputer les WSOP au Rio. Il a terminé bubble-boy du WSOP Super Seniors 2017 après avoir approché les places payées dans le Seniors Championship 2016. Il s'est finalement classé 321e (pour 2886$) du WSOP #32 Seniors Event de 2018... de quoi envisager sereinement sa participation au Razz à 1500$ qui débute le 24 juin.
Leon nous a en effet avoué qu'il manquait un peu d'entra?nement depuis son départ du Nevada. Les salles de poker et les casinos ne sont pas légaux dans le Tennessee et il évite les parties privées de son patelin : "Mon frère est juge là bas, cela serait un peu embarrassant de se faire attraper en plein poker, je dois donc aller jusqu'à Tunica ou monter à Cherokee si je veux jouer".
Dégagé de la contrainte du résultat, Leon ne fait pas du poker une histoire de fierté. Victoire ou défaite, ce jeu reste un moyen de se connecter avec sa femme et de se remémorer les bons moments partagés en table et en dehors. Parfois le poker est plus qu'un jeu.
"Le poker était une chose importante entre nous", explique Leon. "Elle est tout pour moi", termine-t-il.