Les trois paradoxes de la politique fran?aise des jeux
La clause de revoyure de la loi fran?aise sur les jeux en ligne, qui arrive �� ��ch��ance le 13 novembre 2011, doit ��tre l��occasion pour le gouvernement de faire le point sur sa Politique Des Jeux. Elle doit aussi permettre aux autre acteurs du champ de d��battre sur les multiples enjeux de cette politique, comme vient de le faire la derni��re livraison de la revue Pouvoirs (1).
Comme l��ont pr��cis�� diff��rents rapports r��cents (2) - et notamment celui du S��nateur Trucy (3) - il s��agissait davantage par cette l��gislation, de r��guler une activit�� ill��gale existante, que de lib��raliser de mani��re sauvage la totalit�� du march�� ludique.
Les internautes peuvent d��sormais - dans la l��galit�� - jouer au poker en ligne, parier sur les courses hippiques ou de nombreux sports, tout en ��tant ? presque ? certains de ne pas se faire duper sur des sites mafieux. L��affaire Full Tilt Poker �C une salle de poker virtuel accus��e par la justice Am��ricaine d����tre une cha?ne de Ponzi �C indique en effet que la surveillance des op��rateurs virtuels ne constitue pas une mesure liberticide, mais favorise au contraire le gambling virtuel. L��article du patron de la Police des jeux - Jean-Pierre Alezra - dans la Revue fran?aise d����tudes constitutionnelles et politiques d��j�� cit��e, souligne bien que la r��volution des jeux par internet et la mondialisation ludique favorisent ? les d��rives criminelles ? de l��ensemble du secteur. (4)
La politique des jeux fran?aise : d��fendre un double int��r��t national, public et priv��
La ? modernisation ? de la Politique Des Jeux de la France, inaugur��e par Nicolas Sarkozy avec les casinos quand il ��tait Ministre de l��int��rieur et qui a abouti �� cette fameuse loi du 12 mai 2010, apparait �� un premier niveau comme un succ��s, quoiqu��en disent ses d��tracteurs. L��accusation des ? amis du Fouquet��s ? - vs jeux d��argent - a fait long feu. Si certains ? amis du Pr��sident ? ont ? profit�� ? de cette loi dite ? d��ouverture maitris��e �� la concurrence ?, les deux op��rateurs historiques (FDJ et PMU) sont loin d��avoir ��t�� l��s��s, bien au contraire. C��est en r��alit�� un double int��r��t national - public et priv�� - et la volont�� de se mettre �� jour vis-��-vis des directives et injonctions europ��ennes, qui ont pr��valu dans les choix gouvernementaux, apr��s de nombreux ? arbitrages ?, un gros travail parlementaire et s��natorial, ensemble qui souligne que la France n��est pas une R��publique Des Jeux�� banani��re.
Trois paradoxes : l'Etat croupier, le jeu responsable, le lib��ralisme ludique
N��anmoins, pour passer d��une politique d��int��r��t national �C qui peut para?tre protectionniste et contradictoire �� certains ��gards �C �� une politique d��int��r��t g��n��ral, trois paradoxes devront un jour ou l��autre ��tre lev��s.
Etat Croupier - Le premier paradoxe c��est celui bien connu d��Etat Croupier. Chacun le reconna?t le gambling qui tra?ne une symbolique sulfureuse ancienne li��e �� son histoire, doit ��tre contr?l��, surveill��, r��glement�� pour ��viter toute tricherie et de nombreux autres d��rives ( blanchiment��) C��est ce que fait l��Arjel pour les jeux en ligne, la Police des jeux pour les casinos et les courses��
Le probl��me quand l��Etat est croupier c��est, d��une part que la r��glementation peut ��tre per?u comme de l��auto r��gulation, d��autre part que les r��gles ne sont pas les m��mes pour tout le monde. L��autorit�� publique peut avoir tendance �� privil��gier l��op��rateur dont il est l��actionnaire majoritaire. L��op��rateur historique de son cot�� va avoir tendance �� faire comme bon lui semble. Plusieurs autres volets de la politique des jeux vont avoir du mal �� ��tre mise en place de mani��re coh��rente et cr��dible, �� cause de cette double casquette port��e par l��Etat. C��est le cas par exemple de la politique de jeu responsable qui entra?ne un deuxi��me paradoxe.
Politique du jeu responsable - Dans le cadre du projet de loi sur les jeux en ligne, les pouvoirs publics ont fortement accentu�� leur politique de jeu responsable (information/ pr��vention, num��ro vert, lutte contre le jeu excessif, le jeu des mineurs, les interdits de jeu��.) et le discours public sur cette th��matique. Soucieux de sant�� publique et afin de r��pondre aux attentes europ��ennes de protection des joueurs, ce concept de jeu ��thique a n��anmoins ��t�� fortement instrumentalis�� par certains professionnels de l��addiction - en conflits d��int��r��ts dans cette affaire.
Fondamentalement, cette politique de jeu responsable appara?t rapidement en contradiction avec la lib��ralisation partielle des jeux en ligne, nonobstant la croissance accrue des jeux en dur op��r��e dans le m��me temps par la FDJ et le PMU ces derni��res ann��es, avec une tr��s forte acc��l��ration ces derniers mois. Ce paradoxe a ��t�� soulign�� avec vigueur par l��autorit�� de la concurrence dans son Avis du 20 janvier 2011, ? Ainsi, la lutte contre l��addiction au jeu entra?ne n��cessairement la recherche d��une limitation de la consommation, et partant, de l��offre de jeux, alors que le droit de la concurrence vise �� stimuler la concurrence pour am��liorer les conditions de vente d��un produit ou service et en faciliter l��acc��s le plus large possible au consommateur ?.
Lib��ralisme ludique : r��glementation et la fiscalit�� - Dernier paradoxe, celui d��un lib��ralisme ludique qui �C contradictoirement - serait principalement bas�� sur la r��glementation et la fiscalit��. A cause des deux paradoxes cit��s avant, l��autorit�� publique et la repr��sentation nationale, ont cr? bon de mani��re pr��ventive de fortement r��glementer et fiscaliser les jeux en ligne. La critique de la r��glementation est bien connue, elle n��a jamais ��t�� d��mentie : trop de r��glementation peut tuer la r��glementation et peut m��me tuer le business. Idem en mati��re de fiscalit��.
Conscient de cette r��alit�� et face aux r��sultats financiers moins bons qu��attendus, les principaux responsables du dossier veulent d��sormais ? rendre plus attractifs ? les jeux en ligne en jouant notamment sur une baisse de la fiscalit��, mesure revendiqu��e et soutenue par les professionnels du secteur. Ce �� quoi Val��rie P��gresse, vient de r��pondre que face �� un dossier aussi complexe et qui met aussi en cause la fiscalit�� des jeux en dur, la d��finition du PBJ�� il fallait mener ? un travail compl��mentaire approfondie ? (5) qui vient d����tre confi�� �� Jean Fran?ois Lamour.
Au del�� de son aspect technique tr��s complexe, une question simple doit ��tre pos��e : ? dans une ��conomie de march��, l����conomie d��un march�� ? - ici le march�� ludique sur internet - doit-elle ��tre r��gie par la fiscalit��, la r��glementation ou laisser jouer la libre concurrence, la loi de l��offre et de la demande. La classe politique dans son ensemble devra un jour r��pondre franchement �� cette probl��matique de la r��gulation ��conomique du secteur des jeux.
Chemin de Damas ou chemin de Croix liberticide ?
Il y a sans doute plusieurs chemins pour aboutir �� une bonne s��curit�� des jeux en ligne et �� une ? saine ? fiscalit���� qui n��entrave pas le commerce du jeu virtuel ou en dur. Assur��ment, �� cause de son orientation (6) et des 49 recommandations qu��il contient, le ? rapport d����valuation ? que vient de remettre la Ministre du Budget au Gouvernement (7) va faire couler beaucoup d��encre (8). Souhaitons que les d��cideurs politiques en charge du dossier trouvent rapidement leur chemin de Damas pour ne pas que l��aventure ludique des jeux en ligne se transforme en chemin de Croix liberticide.
L��ensemble des acteurs du secteur devraient d��ailleurs aborder ces diff��rents registres de mani��re sereine, car au final, le succ��s des jeux de hasard en ligne - comme celui des jeux d��argent en dur - d��pendra largement de l��environnement macro ��conomique. Par ailleurs les protagonistes du champ concern�� ont tous un int��r��t commun. Ils souhaitent - comme les joueurs qui s��engagent dans l��aventure ludique - ? remplir leur bougette ?(9).
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin est sociologue enseignant �� la Facult�� d��anthropologie et de sociologie de l��Universit�� Lumi��re-Lyon 2
Notes
(1) Pouvoirs n�� 139, Revue fran?aise d����tudes constitutionnelles et politiques, Les jeux d��argent, novembre 2011, 164 pages, Editions du Seuil
(2)Celui d��Aur��lie FILIPPETTI et de Jean-Fran?ois LAMOUR, celui de l��Afjel (Association Fran?aise du jeu en ligne) , celui de l��Arjel ( Autorit�� de r��gulation des jeux en ligne)
(3)Rapport d��information n��17 , S��nat, 12 Octobre 2011, 315 pages
(4) JP Alezra & V��ronique Degermann, ibid. Pouvoirs n�� 139, Revue fran?aise d����tudes constitutionnelles et politiques, 103-118
(5) ? Taxation des jeux en ligne : pas de r��forme, mais une mission �� M. Lamour? ( message AFP du 21 octobre 2011
(6) V. P��cresse : maintenir la fiscalit�� actuelle sur les jeux en ligne ? ( d��p��che AFP du 25 octobre 2011)
(7) ? Ouverture �� la concurrence et �� la r��gulation du secteur des jeux d��argent et de hasard en ligne ? (Rapport d����valuation du Gouvernement , loi n�� 2010-476 du 12 mai 2010, octobre 2011, 71 pages)
(8) Mathilde Visseyrias, ? Jeux en ligne : le r��gulateur veut assouplir la fiscalit��, L��Arjel craint une recrudescence des sites ill��gaux si les autres continuent �� perdre de l��argent, Le Figaro, 3 novembre 2001,23.
(9) Ancien mot de la langue fran?aise d��signant une bourse ou un coffre ou l��on met de l��or. Apr��s avoir voyag��, notamment en Angleterre, ce mot nous est revenu sous le terme Budget.