Addiction jeux argent : le Rapido, une poutre dans l��?il de l��Etat
Dominique Cordier est chroniqueur r��gulier au sein des r��dactions d��Equidia et de RTL.
Stup��fiant ! Alors que l��Etat fran?ais fait la le?on aux nouveaux op��rateurs de paris en ligne en mati��re d��addiction, il d��veloppe, commercialise et promeut sans complexe son Rapido, le plus addictif des jeux d��argent, un v��ritable fl��au qui attire bon an mal an plus de trois millions de joueurs en France, dont 50.000 d��pendants.
La loi, le pathologique
Les op��rateurs de paris en ligne qui feront officiellement la demande d��une licence aupr��s de l��Autorit�� de R��gulation des Jeux En Ligne (ARJEL) ne seront pas seulement tenus de se conformer �� des r��gles fiscales strictes. Il leur appartiendra ��galement de donner de s��rieuses garanties sur la lutte contre le blanchiment d��argent et le d��veloppement de programmes destin��s �� mettre en garde les joueurs contre eux-m��mes, ce que la loi du 6 avril 2010, dans son chapitre VII, appelle ? la lutte contre le jeu excessif ou pathologique ?.
CHU de Nantes : ��tude sur l'addictologie
Il en va tant de la moralit�� que de la sant�� publique, les addictions au jeu d��argent ��tant d��sormais reconnues et soign��es de la m��me mani��re que les accoutumances aux stup��fiants.
Certains ��tablissements de sant�� en ont m��me fait leur fond de commerce, le plus fameux d��entre eux ��tant le CHU de Nantes, dont le service d��addictologie est �� l��heure actuelle financ�� par le PMU et la Fran?aise des Jeux, via le centre de r��f��rence sur le jeu excessif, structure cr����e en 2008 et dont on attend toujours qu��elle propose et rende publique un classement des jeux d��argent en fonction de leur dangerosit��, comme il existe pour les stup��fiants.
Tous les jeux, quels qu��ils soient, peuvent ��tre g��n��rateur d��une addiction. Ce peut ��tre le cas des jeux vid��o, qui charrieront alors une g��n��ration d��adolescents coup��s du monde, ceux que l��on appelle les nolife. C��est bien s?r le cas des jeux d��argent, o�� le perdant joue plus et plus longtemps dans l��espoir de se refaire, tandis que le gagnant veut gagner plus encore au risque de tout perdre.
Classement des jeux addictifs
Les jeux d��argent, cependant, ne sont pas addictifs de la m��me mani��re. Faute de classement objectif et f��d��rateur, on peut juste se risquer �� dire qu��un match de football rend moins ? accro ? qu��une partie de roulette fran?aise ou qu��en la mati��re les chevaux de courses ont un peu de mal �� rivaliser avec les machines �� sous. Et encore ! Les passionn��s de foot, les turfistes, les joueurs de poker ou les piliers de salles de bandits manchots trouveront sans doute �� redire d��un pareil classement, d��s qu��on leur en aura livrer un.
Et puis il y a le Rapido, de l��h��ro?ne pure quand un match de foot ou un handicap pour chevaux d��age ne peut ��tre apparent�� qu���� du vulgaire cannabis.
La maladie du Rapido
Depuis sa cr��ation en 1998, le Rapido n��a cess�� de d��frayer la chronique. Tous les m��dias sans exception se sont int��ress��s, chacun �� leur tour, sous l��angle soci��tal essentiellement, �� ces joueurs de bistrot, de petites gens dans leur immense majorit��, qui jouent, et qui jouent, et qui rejouent, pour des espoirs de gains infimes et souvent inatteignables. Tous se sont int��ress��s aux malades, ces joueurs compulsifs, quelques-uns �� la maladie, l��addiction au jeu d��argent, aucun �� celui qui a inocul�� la maladie du Rapido, la Fran?aise des Jeux en l��occurrence, qui est ��trangement l��un des premiers annonceurs de la presse fran?aise.
Car le vrai d��bat n��est pas de savoir ce qui attire une certaine cat��gorie de joueurs vers le Rapido, mais bien pourquoi une entreprise dont 72% du capital est d��tenu par l��Etat fran?ais a pu mettre sur le march��, �� destination d��une client��le chiche et populaire, un jeu si addictif du fait :
- de sa facilit�� (huit num��ros tir��s au sort sur les vingt de la premi��re grille, puis un compl��mentaire sur les quatre de la grille additionnelle, d��o�� huit niveaux de gains),
- de sa r��currence (deux tirages toutes les cinq minutes, de 6 �� 23 heures),
- de son ergonomie (les tirages sont diffus��s ? en direct ? sur des ��crans de t��l��vision sp��cifiques)
- et de sa proximit�� (un point de vente pour 14.500 habitants).
Pour illustrer notre propos, nous citerons un lieu assez singulier : Brienne-le-Chateau. Cette petite ville de l��Aube comptant 3.300 habitants doit sa renomm��e �� une ��cole militaire o�� Napol��on Bonaparte, alors adolescent, ��tudia de 1779 �� 1784. Mais aussi �� ceci : le taux de ch?mage y d��passe de 20% la moyenne nationale et deux points de vente Rapido y sont install��s, �� trente m��tres d��intervalle, autour de la Place de la R��publique, en plein centre du bourg��
Rapido, premi��re loterie de France, 20% du CA de la FDJ
Apparu en 1998, le Rapido n��atteint les niveaux d��enjeux qui sont les siens aujourd��hui (plus de deux milliards d��euros jou��s annuellement) que six ans plus tard. A cette ��poque, la Fran?aise des Jeux recherche un produit susceptible de contrer de nouvelles offres concurrentielles, r��pondant �� une demande de jeux instantan��s.
Avec l��av��nement de la cha?ne France Courses, devenue Equidia, les points de vente proposant des paris hippiques et la retransmission des courses de chevaux en direct sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, les machines �� sous clandestines ont fait leur apparition dans de nombreux bars. Probl��me : le produit de la vente des jeux de grattage de la Fran?aise des Jeux, seuls aptes �� contrer les courses et les bandits manchots et autres ? billards ?, stagne dangereusement.
Ce jeu novateur, dont la cr��ation est command��e uniquement par la recherche du profit, ce sera le Rapido, une loterie dite de contrepartie, o�� les gains sont connus �� l��avance.
Devant le Loto et l��EuroMillions
Onze ans plus tard, le Rapido est devenu le premier jeu de la Fran?aise des Jeux en terme de chiffres d��affaires (19,5 % du CA 2008, mais plus de 23% en 2007, baisse due �� l��interdiction de fumer dans les lieux publics), devant le Loto et l��EuroMillions, qui b��n��ficie pourtant de campagnes publicitaires massives.
Le Rapido, lui, reste cantonn�� dans les bars. Son meilleur vecteur de publicit��, c��est lui. Les points de vente qui le proposent le signalent, assez discr��tement, en vitrine, tandis qu���� l��int��rieur, l����cran de t��l��vision (17 heures de programme non stop !) constamment allum�� se charge d��attirer le chaland en qu��te de frissons rapides et ininterrompus.
Rapido : statistiques et gains
Faisant son lit sur le d��s?uvrement et la mis��re, le Rapido doit ��galement sa dangerosit�� �� l��absence absolue de perspectives de gains cons��quentes. Le joueur a une chance sur 500.000 de d��crocher le gros lot, qui lui sera pay�� 10.000 pour un euro jou��. Autrement dit, pour esp��rer gagner 10.000 euros, il faudrait en jouer 50 fois plus�� Dans le m��me ordre d��id��e, un joueur n��a qu��une chance sur quinze d����tre rembours�� de sa mise de d��part. Dans l��absolu, il lui faut donc d��bourser quinze euros pour ��tre certain d��en gagner�� un.
Les statisticiens qui se sont pench��s sur cette ? faucheuse ? d��un genre nouveau sont arriv��s �� la conclusion qu��avec une mise de d��part de 100 euros, un joueur qui jouerait un euro par tirage pourrait participer �� 141 s��quences, �� la condition de r��investir ses gains. Il s��agit ��videmment d��une moyenne, mais elle n��est gu��re flatteuse par rapport aux autres jeux de hasard. Dans le m��me ordre d��id��e, un joueur de casino disposerait encore, en jouant le noir �� chaque lancer de bille, de 42 euros au bout de 980 s��quences. Si apr��s cette d��monstration, le Rapido n��est pas un miroir aux alouettes��
Parce que les gains y sont infimes au regard des sommes d��pens��es, le joueur investit donc sa petite manne dans le Rapido�� jusqu���� plus soif. C��est justement parce qu��il ne permet jamais de gagner de grosses sommes, mais surtout d��en perdre, que le Rapido ne peut s��adresser qu���� des joueurs compulsifs, �� la recherche de frissons imm��diats, d��adr��naline ou de trompe-ennui. A cela, la Fran?aise des jeux argue que le retour en direction des joueurs frise les 65%, il n��emp��che que ceux-ci sont sit?t r��investis par les dits joueurs, tant le Rapido met leur porte-monnaie �� mal.
L��Etat, un op��rateur de jeu vertueux ?
Ce constat dress��, on peut comprendre qu��il est difficile pour les nouveaux op��rateurs en ligne de voir en l��Etat un op��rateur de jeu vertueux, respectueux de sa client��le, attentif �� la morale des jeux qu��il lui propose.
Certes, pour lutter contre la d��pendance de certains de ses joueurs au Rapido, la Fran?aise des Jeux a mis en place de mani��re r��guli��re quelques mesures destin��es �� limiter notamment la mise maximale pouvant ��tre jou��e sur un seul bulletin, avec un plafonnement �� cent euros, et le nombre maximum de tirages durant lesquels la m��me combinaison peut-��tre jou��e. Il n��emp��che qu���� aucun moment les moniteurs install��s dans les points de vente, ce fil rouge qu��aucun joueur compulsif ne quitte des yeux, n����met de messages destin��s �� le prot��ger contre lui-m��me, �� le pr��venir du co?t et des cons��quences de son addiction. Non, rien, calme plat, juste les tirages au rythme d��un toutes les 150 secondes, le rappel des num��ros sortis lors des pr��c��dents tirages (car les joueurs cherchent toujours �� donner une logique au hasard pour mieux conjurer le sort) et parfois, une promotion ou une offre commerciale destin��e �� booster la demande et �� sortir le joueur de sa torpeur routini��re.
Le rapido et l��ordre publique
La d��monstration est ainsi faite que l��Etat fran?ais, qui voit la paille dans l��?il des nouveaux op��rateurs auxquels il d��livrera demain un agr��ment, ��vite soigneusement de voir la poutre qui saigne le sien. Supprimera-t-il un jour le Rapido pour des questions d��ordre publique ? Jamais. Pas question en effet pour ce bon gestionnaire d��amputer ? sa ? Fran?aise des Jeux d��un cinqui��me de son chiffre d��affaires.
On comprend ais��ment que la fin du Rapido ne saurait co?ncider qu��avec l��apparition d��un jeu �� la nocivit�� ��quivalente, susceptible de g��n��rer autant de profits, quitte �� fabriquer un peu plus de pauvret��. Car comme n��aurait pas manqu�� de le dire un grand humoriste disparu avant d��avoir eu le temps de tester cette invention g��niale, ? les pauvres sont indispensables au Rapido, �� condition qu��ils le restent ! ?
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