Chronique Kipik : un seul joueur peut tout vous apprendre
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Un seul joueur peut tout vous apprendre. Et ce joueur, c'est vous !
Mais remontons un peu en arri��re. Disons de 200.000 ans.
Vous et votre tribu d'Homo Sapiens marchez paisiblement dans la savane. Quand votre chemin (les routes viendront plus tard) croise celui d'une autre tribu. Une tribu inconnue. Et visiblement pas plus d��sireuse que la v?tre de partager les ressources locales. L'option Bonobo n'ayant pas ��t�� retenue par vos anc��tres, la situation ne se r��glera pas par des ��changes de bons proc��d��s.
La premi��re option qui s'offre �� vous est de leur rentrer dans le lard �� ces ��trangers que personne n'a invit��. Histoire de leur faire passer le go?t des bananes locales. Et si ?a tourne en eau de boudin, ceux qui peuvent encore courir trouveront bien un plan B.
La seconde option revient �� admettre que, finalement, les bananes du coin, elles n'ont rien d'extraordinaires. Et puis, de toute fa?on, depuis deux mois que vous tra?nez par ici, des bananes, y'en a plus des masses�� Et tant pis si quelques uns cr��vent de faim en attendant de trouver un endroit o�� la nourriture est disponible en quantit�� suffisante !
Deux cents mill��naires plus tard, les choses n'ont gu��re chang���� et les joueurs de poker encore moins. Nous passons en effet notre temps �� peser le pour et le contre entre s'affronter et s'effacer. Entre lacher prise et s'accrocher bec et ongles.
L�� o�� ?a se complique, c'est que chaque personne a une r��action �� la prise de risque qui lui est propre. Pour certains, la pr��servation prime et le refus de combat est instinctif (les tight weaks qu'on adore bluffer). Pour d'autres, l'affrontement est naturel et la victoire salvatrice (ces maniaques qui sont toujours l�� vous mettre un badbeat).
Le fait est que le cerveau n'a gu��re ��volu�� ces derniers milliers d'ann��es (je m'excuse aupr��s de tous les sp��cialistes en neuroscience, ainsi que des pal��oanthropologues, pour toute ��ventuelle ��normit�� que je pourrais ��crire dans cette chronique). Et chacun de nous poss��de une tendance tr��s forte, quasi instinctive, d��s qu'il s'agit de faire face au danger.
Coin flip
L'exemple le plus courant est probablement le joueur qui vous met syst��matiquement sur AK quand il a une paire (ou une paire inf��rieure si le coinflip ne l'arrange pas). Et vous imagine avec une petite paire ou AQ quand il a AK. Si courant que, �� des degr��s divers, c'est une d��formation�� qui nous guette tous.
Une partie de nous cherche en permanence une raison de ne pas lacher, de payer, de gambler, de prendre un risque qu'on estime raisonnable; ou d'estimer raisonnable le risque auquel nous sommes confront��, de le justifier. Ou, �� l'inverse, cette partie de notre h��ritage ancestral qui g��re le danger cherche syst��matiquement un pr��texte pour ��viter un conflit �� l'issue probablement dangereuse; �� dramatiser le risque encouru; �� d��valoriser la prise de risque. Le dosage est variable, mais chaque personne d��veloppe une tendance naturelle �� agir plus ou moins fortement dans un sens ou dans l'autre (et la m��me segmentation est pouss��e encore plus loin en tournoi avec l'opposition accumulation/conservation).
Rationalisation du jeu contre instinct
Un petit bet et le ? payeur ? paiera car ?a n'est pas cher pour v��rifier que sa main est peut-��tre bonne. Une grosse mise et il paiera encore, mais cette fois car il y verra la possibilit�� d'un bluff. Le ? coucheur ?, lui, imaginera naturellement que la petite mise est un pi��ge. Et la grosse, une invitation �� ValueTown. Notre cerveau ne manque pas d'imagination quand il s'agit de justifier ses/nos ? instincts ?.
Certes, avec l'exp��rience, ces tendances ? instinctives ? s'effacent. Le joueur qui s'��duque pense en terme de hand range, de cote, de valeur, de risk/reward, de reads, d'historique�� Il rationalise peu �� peu sa prise de d��cision et, ce faisant, utilise d'autres parties de son cerveau moins�� pr��dispos��es.
Pour autant, et m��me si rationaliser sa pens��e est ��videmment un objectif �� atteindre, il serait illusoire de croire qu'on puisse totalement se d��tacher de ses r��actions instinctives, naturelles.
Observez quelques sessions de high stakes et vous constaterez vite que m��me les meilleurs joueurs se distinguent par des tendances diff��rentes. Evidemment, ?a n'a rien �� voir avec les r��actions extr��mistes de joueurs n��ophytes. Mais les tendances sont tout de m��me pr��sentes. Domestiqu��es. Contr?l��es. Absorb��es dans un syst��me de jeu efficace. Mais toujours pr��sentes.
Dommage de s'en priver
Une des erreurs les plus courantes, �� mon avis, est d'essayer de comprendre le jeu, de d��velopper une strat��gie, un ? syst��me ?, alors m��me qu'on ne se conna?t pas soi-m��me. Apprenez �� vous conna?tre. Apprenez �� conna?tre votre ? nature ?. Comment vous r��agissez instinctivement face �� telle ou telle situation. Et pas seulement parce que ce sont des faiblesses que vos (meilleurs) adversaires exploiteront. Mais aussi, et surtout, car c'est autour de ces tendances naturelles que vous devriez, dans un premier temps, d��velopper votre jeu. Parce que votre poker doit tenir compte de vos tendances personnelles. Des bonnes. Des mauvaises. De votre ? caract��re ?.
C'est une aspiration normale que de vouloir apprendre �� bien jouer. H��las, et heureusement !, il n'existe pas une fa?on de jouer au poker. Ce qui est valable pour moi ne le sera pas forc��ment pour un autre joueur. Et inversement. L'analyse d'une situation, la d��termination du risque inh��rent et la r��action �� ce risque varient d'un individu �� l'autre. C'est toute la beaut�� du poker que de permettre �� chacun de s'exprimer �� sa fa?on. Il serait dommage de s'en priver.
Mieux vous vous conna?trez, mieux vous conna?trez la fa?on dont votre cerveau r��agit instinctivement, naturellement, �� diff��rentes situations, et plus vous serez �� m��me d'adapter votre jeu. De jauger la valeur de vos raisonnements. De comprendre o��, et pourquoi, vous commettez des erreurs. De compenser vos faiblesses. D'exploiter vos forces.
Beaucoup de joueurs se heurtent �� un mur quand ils essaient d'apprendre une strat��gie. Alors qu'ils appliquent souvent ? correctement ? les recettes apprises. Et ne comprennent pas pourquoi ?a ne marche pas. N'essayez pas de ? copier-coller ? le jeu d'un autre joueur. Ou d'un livre. Prenez le temps de conna?tre le joueur qui est en vous.
C'est g��n��ralement plus difficile que d'apprendre une m��thode. Mais c'est un bien meilleur moyen de d��velopper votre m��thode. Il sera temps, ensuite, de l'enrichir de vos lectures. De vos discussions. Qui viendront peu �� peu enrichir votre jeu. Tout en douceur. Naturellement.