Chronique Kipik : c'est pas la taille qui compte
L'une des remarques que je lis le plus souvent, soit sur le forum, soit par rapport �� cette chronique, est que ma fa?on de jouer, mon approche strat��gique du poker, mon analyse, conviennent probablement �� un joueur qui en vit et joue ��norm��ment. Mais pas �� un quelqu'un qui joue de fa?on ponctuelle.
Je crois sinc��rement que rien n'est plus faux, et dangereux, que cette fa?on de penser.
Vous ne sauteriez pas sans parachute ?
Si votre hobby ��tait le parachutisme, plut?t que le poker, et qu'un gars avec des milliers de sauts �� son actif venait discuter avec vous, vous l'��couteriez bien sagement. M��me si vous sautiez seulement une fois par mois. Quand sa survie est en jeu, on est pr��t �� faire naturellement quelques efforts��
Seulement, voila : notre plaisir �� nous n'est pas de nous amuser avec les lois de la gravit��. Mais avec celles des probabilit��s. Et, �� moins d'avoir besoin des conseils d'un sp��cialiste en addictions, notre vie, notre survie, est rarement en jeu. Ce qui pose un double probl��me : les probabilit��s ne sont ni simples ni facilement accessibles. Et leur impact, ou leur ignorance, ni dramatique ni vraiment motivant.
Je me vois franchement mal venir blamer celui qui, avec encore en t��te le souvenir de ces longues heures de math ennuyeuses �� mourir, pr��f��re faire l'impasse. Et jouer comme il aime. Peinard ! En cherchant bien, vous trouverez m��me toujours un joueur old school pour venir vous conforter en vous expliquant que ? les maths, c'est bien. Mais, l'important, c'est de jouer l'homme ?. Ou toute autre pens��e du m��me acabit.
Il n'aura d'ailleurs pas totalement tort. Et on peut jouer en ignorant pour l'essentiel les math��matiques. Seulement, voila, que vous le vouliez ou non, les maths existent. Que vous les ignoriez ou pas, elles, elles ne vous ignorent pas. Et, si vous ��tes un joueur gagnant, c'est que, d'une fa?on ou d'une autre, vous les utilisez d��j��. M��me si c'est seulement de fa?on inconsciente.
Moins d'informations, plus de math��matiques
Le poker online a largement chang�� la donne en retirant toute information contextuelle. Humaine. Vous ne verrez jamais votre adversaire se redresser tout d'un coup quand tombe au turn une carte qui rentre une possible quinte (oui, il l'a). Vous ne remarquerez jamais que, chaque fois que le chauve assis deux si��ges �� votre droite, se frotte le crane, il se couche.
Le poker est un jeu d'information incompl��te. C'est encore plus ? vrai ? sur Internet o�� l'information est r��duite au strict minimum. Certes, on peut parfois relever un ? tell de vitesse ? sur certains joueurs. Mais, pour 99%, la seule information dont on dispose est dans la mise. Les patterns. Les sizings.
J'ai rencontr�� de nombreux joueurs qui r��ussissent en live. Mais sont incapables d'��tre gagnants sur Internet. Une fa?on d'expliquer cela est de dire que "l'online, c'est rigged" (NDR: truqu��). Une autre est de simplement reconna?tre que beaucoup de joueurs live s'appuient sur des informations qu'ils n'ont plus d��s qu'ils se retrouvent derri��re leur ordinateur. Dit autrement : leurs lacunes en math��matiques, dans la compr��hension de la th��orie du jeu, ne peut plus ��tre compens�� par l'observation (m��me si c'est seulement une observation inconsciente, intuitive; juste une autre fa?on de d��crire la fa?on qu'a notre cerveau de traiter �� la vol��e la masse d'informations qu'il re?oit de tous nos sens).
Or, moins vous avez d'informations �� votre disposition, plus les math��matiques jouent un r?le majeur. Et celui qui va le plus comprendre les math��matiques, la th��orie du jeu, d��veloppera le plus facilement un avantage sur ses adversaires moins inform��s.
Notre cerveau nous joue un nouveau tour
C'est le r��gne du volume. Non pas parce qu'un volume plus important permet de jouer des avantages plus petits (ce qui est vrai). Mais surtout parce que, plus le volume augmente, plus celui qui respecte la th��orie du jeu va exploiter son avantage sur ceux qui ma?trisent moins bien les math��matiques du poker.
Avancer que celui qui joue moins ne peut pas, ou n'a pas int��r��t, �� jouer de la m��me fa?on que celui qui encha?ne les MTT (ou les sessions de cash game, d'ailleurs; sur ce point, nulle diff��rence), revient en fait �� reconna?tre sa propre faiblesse dans la compr��hension du jeu. A dire que les erreurs qu'on commet sont justifi��es par la raret��. Le m��me raisonnement qui am��ne des joueurs, qui se sont qualifi��s pour quelques dollars �� un gros tournoi live et ont book�� une semaine pour aller jouer �� des centaines/milliers de kilom��tres de chez aux, a jouer diff��remment. A valoriser le temps pass�� (et, encore une fois, ce n'est pas forc��ment une erreur; c'est juste une source d'erreurs strat��giques qui se paient. Mais tout comme on paie pour voir un film ou visiter un mus��e).
- "Je ne joue pas de fa?on optimale mais, eh ! c'est un tournoi �� $10.000"
- "Je ne joue pas de fa?on optimale mais, eh ! c'est mon seul tournoi de la semaine."
- "Je ne joue pas de fa?on optimale mais, eh ! t'as vu ce que la place suivante paie ?"
Toutes ces explications, on les a d��j�� entendues maintes fois. Et on les a d'ailleurs, tous, ��galement utilis��es. Mais ce ne sont que des justifications a posteriori. Aussi fausses, et dangereuses, que les raisonnements ? result oriented ? (conna?tre la fin d'une main am��ne �� changer son raisonnement pour s'adapter au r��sultat alors m��me que la d��cision ��tait la bonne dans l'absolu).
Je parlais dans ma derni��re chronique de la fa?on dont notre cerveau fonctionne. C'en sont juste d'autres exemples. Arguer d'une diff��rence strat��gique li��e �� un volume de jeu diff��rent revient au m��me : on cherche une raison pour justifier, a posteriori, des erreurs. Des faiblesses. Ou juste un manque de r��ussite.
Pas de service personnalis�� au royaume des math��matiques
Que vous jouiez un tournoi par mois ou quinze par jour, le fait est que les math��matiques sont les m��mes. La th��orie du jeu ne change pas parce que vous vous appelez Paul ou Thierry. Elle se fout royalement qu'on soit lundi ou vendredi. En mars ou en octobre. Que vous ayez gagn�� trois tournois dans la semaine. Ou que ce soit votre premier. Elle est. Tout simplement. Et chacune de vos d��cisions, chacun de vos choix, peut se juger par rapport au choix optimal.
Shaundeeb (par exemple) n'a pas d��cid�� de vous surelancer �� tapis pour 18bb parce qu'il joue des milliers de tournois. Il l'a fait parce que la situation (votre profil, vos stacks, les positions, sa main) s'y pr��te. Parce que ce choix est celui qui offre le meilleur rapport risque/r��compense, la meilleure esp��rance de gain. Et il le fera �� chaque fois qu'une situation identique se pr��sentera sur tous ses tournois.
Si on inverse les r?les et que vous d��cidez d'une ligne diff��rente (? oh, non ! je ne peux tout de m��me pas envoyer avec cette poubelle ?), le fait que ce soit votre seul tournoi du mois ne change rien : vous venez de commettre une erreur en n'adoptant pas la ligne optimale.
Shaun ne d��vie pas de la strat��gie optimale parce qu'il joue dix mille tournois dans l'ann��e (si si) et pourrait donc se permettre, comme certains l'imaginent, de prendre plus de risques. Il ? se contente ? (sic) d'appliquer les math��matiques propres au poker pour optimiser ses chances d'aller loin dans ses dix mille tournois. De prendre (autant que possible, tout le monde commet des erreurs) la d��cision la plus profitable �� chaque situation donn��e. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas d'autres approches, tactiques et strat��giques, que celle de Shaundeeb. Ou de n'importe quel joueur. Mais que, quelle que soit l'approche strat��gique d'un joueur, celui-ci conna?tra d'autant plus de r��ussite qu'elle respecte la th��orie du jeu.
Forc��ment moins, pas forc��ment moins bien
Si lui le peut, en jouant dieu seul sait combien de tournois �� la fois, qu'est-ce qui explique que n'importe quel joueur, qui joue cent fois moins, ne puisse pas le faire ? Rien, en tout cas, qui soit math��matiquement, r��ellement, justifiable. Rien�� �� part une moins bonne analyse des situations, une moins bonne compr��hension des math��matiques justifiant le choix d'une ligne plut?t qu'une autre. Ou l'audace, le d��tachement n��cessaire, pour suivre ensuite cette ligne.
Je ne peux pas faire grand-chose pour l'audace et le d��tachement. Cela ne peut venir que de soi-m��me. Et de l'exp��rience. Mais, dans les semaines �� venir, je tenterai de d��cortiquer les math��matiques, la th��orie du jeu. Parce que, contrairement �� une autre id��e re?ue, non seulement elles ne sont pas complexe mais, en plus, il n'y a m��me pas besoin de savoir les faire pour s'en servir, il suffit de les comprendre. De comprendre leur ? code ?. N'ayez pas peur, ?a ne fait pas mal. Et ?a vous fera m��me sans doute du bien��
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NDLR : Kipik est un joueur de poker fran?ais, sp��cialiste des tournois en ligne. Retrouvez chaque mardi sa chronique sur Pokernews et rejoignez-le sur le forum.